Mis à jour le 23 novembre 2022
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Fond de vallée de Port-Royal des Champs

Une nouvelle respiration pour l’Abbaye, mais aussi pour la biodiversité qui retrouve une plus grande richesse.

Conjuguer biodiversité et paysage au présent
 
Article de Pierre Lefèvre pour l'Echo du Parc n°74 (avril-juin 2017)
 
N’imaginez plus le paysage qu’offrait Port-Royal au XVIII- siècle, allez le voir ! Celui-ci se dévoile aujourd’hui grâce aux travaux de défrichement réalisés par le Parc cet hiver. Une nouvelle respiration pour l’Abbaye, mais aussi pour la biodiversité qui retrouve une plus grande richesse.
 
L’herbe refait timidement son apparition dans le fond de vallée de Port-Royal des Champs après quatre mois de travaux de défrichement. La forêt a ainsi de nouveau cédé la place à des prairies humides. L’objectif pour le Parc qui a mené l’opération est double : retrouver les perspectives paysagères d’autrefois et favoriser une biodiversité spécifique à ces écosystèmes. Que l’on se penche sur la carte de Cassini du XVIIe siècle ou celle du début du XXe siècle, le constat est le même : le fond de vallon de Port-Royal-des-Champs offrait en effet un paysage ouvert de prairies pâturées ou fauchées et de cultures vivrières. « La partie récemment déboisée correspond à ce qui devait être cultivé alors et que montrent les gravures du XVIIIe siècle » rappelle Philippe Luez, conservateur au musée de Port-Royal. Le développement d’une agriculture moderne performante a conduit les paysans à délaisser ces espaces pour cultiver sur les plateaux. Avec la déprise agricole et la disparition des pâtures, la forêt a rapidement investi cet espace.
 
Quand la forêt masque les reliefs
 
Dans ces fonds de vallons boisés, « certains habitants disent éprouver des sensations d’étouffement parce qu’il n’y a plus de point de vue et que le regard est arrêté par les masses d’arbres, commente Marion Doubre chargée de mission Paysage au Parc. Le paysage est comme absorbé par la forêt ». Le relief est gommé. La présence de l’eau est masquée. En coupant des arbres, de nouvelles perspectives se dévoilent. « Les vues lointaines donnent au promeneur des repères qu’il avait perdus et le paysage retrouve ainsi une grande richesse», ajoute Marion Doubre.
 
Une autre bonne raison pour couper des arbres sur des zones bien ciblées, même si ça peut paraître étrange au départ aux amoureux de la nature, c’est de favoriser une augmentation de la biodiversité et le retour d’espèces remarquables. « La reconquête des espaces humides fait partie dès l’origine des objectifs du Parc, explique d’ailleurs Alexandre Mari, chargé de mission agriculture durable au Parc. 80 % des espèces protégées de la flore d’île-de-France sont présentes dans notre Parc naturel. Or, plus de deux tiers de ces espèces sont liées aux milieux humides ouverts qu’on trouve essentiellement dans les fonds de vallée, alors même qu’ils ne représentent que 6 % du territoire ». Les prairies humides comme celles de Port-Royal possèdent ainsi une très grande valeur écologique. Elles abritent par exemple près de 700 espèces insectes, parmi lesquelles de nombreuses espèces rares et protégées.
 
Image
Port-Royal des Champs
 
Une reconquête sélective
 
L’intention du Parc n’est cependant pas de reconquérir tous les fonds de vallée, mais de « retrouver suffisamment de prairies le long des ruisseaux pour que les échanges biologiques restent fonctionnels » précise Alexandre Mari. C’est-à-dire que la distance qui sépare entre elles des mêmes populations de faune ou de flore soit raisonnable, de 1 à 2 kilomètres, pour permettre leur circulation et ainsi des échanges génétiques. C’est la garantie pour les espèces de conserver leur capacité d’adaptation. En effet, si des plantes peuvent être transportées par la rivière ou le vent, certaines espèces ne peuvent, elles, se déplacer qu’au sol. C’est le cas pour certains insectes comme les coléoptères.
 
Une fois coupés les arbres qui étouffaient la prairie, le travail ne s’arrête pas là. Sinon, la forêt reprendrait ses droits
progressivement et tout serait à recommencer au bout d’une quinzaine d’années seulement. La solution : faire de ces prairies, comme autrefois, des pâtures. Encore faut-il trouver un éleveur intéressé et prêt à accepter les contraintes techniques. Le contrat est simple : l’éleveur peut laisser ses bêtes dans les enclos posés par le Parc sans payer de loyer. En retour il s’engage à respecter les règles édictées par le Parc, qui permettent de préserver les écosystèmes. Les bêtes ne peuvent ainsi venir pâturer que quelques mois de l’année, du printemps à la fin de l’été. Leur nombre est aussi adapté à la fragilité du milieu. À Port-Royal, sur une partie de la zone déboisée particulièrement humide, la durée de la pâture est encore plus réduite : 3 mois seulement, de juillet à septembre. Ce seront des poneys choisis pour leur faible poids, de l’ordre de 120 kilos, qui occuperont cette zone. Des bêtes plus lourdes s’enfonceraient trop et finiraient par abîmer le sol de cet espace. Dans le reste des zones dédiées aux pâtures, ce seront en revanche des vaches qui viendront entretenir le milieu.
 
Une logique gagnant-gagnant
 
L’éleveur n’a pas encore été choisi. Frédéric Peltier qui possède la ferme Grand Maison avec 450 vaches connaît bien cet échange gagnant-gagnant puisqu’il met déjà ses bêtes dans un pâturage de ce type depuis 2004 à la Réserve naturelle régionale Val et Coteau de Saint-Rémy-lès-Chevreuse et, depuis 2011, aux Vaux de Cernay ainsi qu’au Breuil à Chevreuse. L’opération est intéressante car c’est le seul moyen pour lui d’avoir des terres pour ces bêtes dans une région où elles sont rares. Côté financier, l’absence de loyer ne veut pas dire absence de coût. Ce que l’éleveur ne paie pas pour la location, il le paie en temps passé pour l’entretien manuel des clôtures et en travaux pour régénérer le couvert herbacé les premières années.
 
Dans les prairies qu’ils louent par ailleurs, il utilise parfois un désherbant chimique. Impossible de procéder ainsi dans les prairies humides qui lui sont confiées. Le respect des écosystèmes l’exige. Les motivations de Frédéric Peltier sont
aussi écologiques aujourd’hui et il apprécie de participer ainsi à ce travail de restauration de ces écosystèmes. En fait « c’est devenu un acte militant » explique-t-il. De son côté, le Parc sait faire preuve de souplesse avec ses partenaires lorsque cela est nécessaire. En principe, les vaches qui pâturent ne peuvent pas avoir d’autre alimentation que l’herbe de la prairie. Sinon, les apports organiques supplémentaires pourraient déséquilibrer l’écosystème et favoriser les plantes qui apprécient l’excès d’azote, au détriment des plantes remarquables. Mais lorsque la sécheresse a sévi l’été dernier et qu’il n’y avait plus assez d’herbe, l’éleveur a pu apporter du fourrage pour nourrir ses vaches.
 
Le résultat de l’effort de restauration à Port-Royal est déjà là au moins visuellement. « C’est une mise en valeur du site éblouissante qui devrait attirer de nouveaux visiteurs, s’enthousiasme Philippe Luez, on retrouve la sensation que les résidents de l’Abbaye de Port-Royal devait avoir jusqu’à la Révolution française. En se promenant sur le chemin Racine qui borde Port-Royal, il y a ainsi des points de vue remarquables qui ont un charme fou. On y aperçoit le pigeonnier, la chapelle et les éléments qui restent encore de l’Abbaye ». D’autres projets de restauration sont déjà programmés.

 

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