Andromaque, Britannicus, Iphigénie, Phèdre… Ça vous rappelle bien quelques souvenirs d’école ? Le Cid ? Ah non, c’est de mon rival Corneille ! Vous vous demandez certainement pourquoi le chemin que vous allez emprunter porte mon nom, Jean Racine ! Sans tout vous dévoiler, sachez que j’ai vécu enfant, tout près d’ici, aux « Petites Ecoles » de Port-Royal des Champs. Je vous y emmène à travers bois et prairies à la découverte de ces paysages que j’apprécie tant.
Garez-vous sur le parking et prenez le chemin qui descend vers la maison du Parc pour visiter le château de la Madeleine. Entrez dans la cour du château.
Le château de la Madeleine
Pénibles souvenirs en ce château !... Certes, il est splendide avec son donjon, sa cour entourée de murailles, sa vue magnifique sur le bourg de Chevreuse mais quel ennui de vivre ici tout seul à 21 ans, surtout après avoir goûté à la vie parisienne ! Je m’y sentais en exil. Mes tragédies ne m’avaient pas encore rendu célèbre et il fallait bien gagner ma vie. J’ai donc supervisé pendant quelques mois les travaux de remise en état de cet édifice et forcément, j’ai écrit.
« A Babylone1, ce 27 janvier 1661,
… Je vais au cabaret2 deux ou trois fois le jour. Je commande à des maçons, à des vitriers, et à des menuisiers, qui m’obéissent assez exactement, et me demandent de quoi boire. Je suis dans la chambre d’un duc et pair : voilà pour ce qui regarde le faste ; car, dans un quartier comme celui-ci, où il n’y a que des gueux, c’est grandeur que d’aller au cabaret. Tout le monde n’y peut aller.
… Je goûte tous les plaisirs de la vie solitaire. Je suis tout seul, et je n’entends pas le moindre bruit. Il est vrai que le vent en fait beaucoup, et même jusqu’à faire trembler la maison… »
1 En référence à l’exil des Juifs
2 Le cabaret du Lys, 2, rue Lalande à Chevreuse serait celui où se rendait Racine.
Le mot du Parc : Depuis la courtine sud, la vue est splendide sur le bourg de Chevreuse (dont les premières fondations datent du Xe siècle). Il était autrefois ceinturé de remparts. Les habitations sont groupées autour de l’église (XIIe siècle), sous la protection du château. De nombreux toits d’ardoise témoignent de l’ancienne richesse de la ville liée à la tannerie, un patrimoine encore visible le long de l’Yvette. Les autres matériaux utilisés dans les constructions proviennent du sous-sol local : la meulière, le grès, la tuile (issue de l’argile).
Ressortez de la cour du château. Arrêtez-vous un moment pour admirer la vue sur la vallée.
Point de vue sur le paysage de la Vallée
Célèbre, je le devins grâce au théâtre. Mais je m’essayais à l’écriture depuis mes plus jeunes années. Et, lorsque j’étais élève à Port-Royal, ces lieux m’inspirèrent une série d’odes que j’intitulais « Le paysage, ou promenade de Port-Royal des Champs ».
Que je me plais sur ces montagnes,
Qui s’élevant jusques aux cieux,
D’un diadème gracieux
Couronnent ces belles campagnes !
…
De là j’aperçois les prairies,
Sur les plaines et les coteaux
Parmi les arbres et les eaux,
Etaler leurs pompes fleuries.
Deça je vois les pampres verts
Enrichir cent tertres divers.
De leurs grappes fécondes ;
Et là les prodigues guérets,
De leurs javelles blondes,
Border les prés et les forêts.
Des pampres, des tertres, des guérets, des javelles, diantre, quel charabia ! Quelque explication ? Les pampres verts, ce sont les vignes sur les coteaux exposés au sud. Et les prodigues guérets avec leurs javelles, ce sont les champs avec leurs blés coupés situés sur les coteaux, entre les prés en bas le long de la rivière et la forêt en haut sur le rebord du plateau. Je continue ?
Je vois les fruitiers innombrables
Tantôt rangés en espaliers,
Tantôt ombrager les sentiers
De leurs richesses agréables.
Partout, les champs, les prairies étaient plantés de pommiers et de poiriers pour fabriquer le cidre et le poiré, de châtaigniers aussi en moindre nombre. Les fruitiers ont disparu avec les ouvriers agricoles et l’arrivée de la mécanisation et la vigne n’a pas été replantée après l’invasion du phylloxera à la fin du XIXe siècle.
Le mot du Parc : Le paysage décrit par Racine est typique de la vallée de Chevreuse. Préserver et renforcer son identité est une des missions du Parc. Le coteau au pied du château retrouvera peut-être un jour sa vigne, comme celui de Port-Royal. Les prairies, les haies, les arbres isolés, les vieux fruitiers sont autant d’éléments identitaires du paysage. Leur maintien est aussi essentiel à la biodiversité. Le paysage, est avant tout une « vue ». Le château a été édifié en rebord de plateau pour voir loin et surveiller ainsi la vallée et la route en contrebas, un axe de communication important à l’époque. Au musée de Port-Royal, du haut des Cent-marches, vous admirerez aussi la vue spectaculaire sur le vallon. Pourtant, les vues du plateau vers la vallée sont rares. Le Parc encourage les communes à les rétablir lors de projets d’aménagement.
Détour : De là, vous pouvez descendre jusqu’au bourg de Chevreuse.
Laissez maintenant le château derrière vous pour répondre à l’invitation de Racine : Mais allons dans tous ces beaux lieux, Voir d’un regard plus curieux, Leur pompe renfermée…
Remontez le chemin vers le parking et empruntez la route sur votre gauche. Suivez-la sur un peu plus d’1 km, jusqu’au prochain croisement avec un chemin (panneau directionnel).
Les arbres de la Forêt
Je vois les tilleuls et les chênes, ces géants de cent bras armés.
De tilleuls, ici précisément, vous n’en verrez pas mais cherchez bien, la forêt n’en manque pas même si l’avantage va au chêne. L’écorce de ce dernier servait à fabriquer le tan utilisé pour rendre les peaux de bêtes imputrescibles.
Le mot du Parc : La forêt occupe 40% du territoire du Parc. Elle recouvre l’ancien domaine de chasse royale. Elle est aussi présente sur les rebords des plateaux et dans les zones humides, espaces qu’elle a largement grignotés depuis qu’ils ne sont plus utilisés par l’agriculture. Composée à plus de 75% de feuillus, comme le dit Racine, l’essence majoritaire est le chêne, souvent accompagné du charme et du châtaignier (qui poussent sur les coteaux plus acides).
Tournez à droite au chemin qui traverse la route et pénétrez dans la forêt. (panneau d’information).
Au carrefour du Roi de Rome (panneau d’information), prenez tout droit le chemin qui descend.
Le carrefour du Roi de Rome
C’est là que cent longues allées
D’arbres toujours riches et verts,
Se font voir en cent lieux divers,
Droites, penchantes, étoilées.
Si vous vous promenez en forêt de Rambouillet, vous avez remarqué de larges allées avec leurs carrefours en étoile. C’est Henri IV qui a commencé l’aménagement de ce réseau pour les chasses à courre. Il sera ensuite intensifié par le comte de Toulouse, fils illégitime de Louis XIV et de Madame de Montespan, qui passe son temps à la chasse.
Ah, Louis XIV, parlons-en ! Personnellement, j’ai plutôt bénéficié de son soutien. Je lui composai d’abord quelques odes tôt récompensées. Puis, j’écrivis Alexandre à sa gloire en 1665, qui fut mon premier succès. Il m’annoblit en 1674 et me nomma son historiographe en 1677. Bien que j’aie renoncé au théâtre, Mme de Maintenon, la favorite, me commanda Esther et Athalie, oeuvres pédagogiques jouées par les pensionnaires de Saint-Cyr. Mais mon bienfaiteur persécuta mes chers maîtres et les pauvres religieuses de l’abbaye. Je tentais à plusieurs reprises d’intervenir en leur faveur.

Traversez la route et prenez en face le chemin qui s’engage entre les prairies.
Tournez à gauche après avoir traversé la rivière et continuez sur le chemin au pied du coteau.
Des plantes de milieux humides
Vous traversez une route départementale, l’ancien « chemin de Chevreuse à Saint-Lambert ».
Je l’empruntais alors pour me rendre de Port-Royal à Chevreuse. Je me plaisais à admirer les prairies qui la bordent d’un côté et la forêt de l’autre. Mais pour votre sécurité et votre tranquillité, préférez le chemin pédestre indiqué sur la carte.
De nombreuses plantes de milieux humides bordent le sentier. Parmi elles, vous reconnaîtrez peut-être la Reine des prés. Riche en acide salicylique comme le saule (Salix alba), elle était largement utilisée par nos religieuses pour soigner les fièvres et calmer la douleur. Appelée aussi Spirée ulmaire, son nom a inspiré celui d’un fameux médicament, l’aspirine.
Le Moulin de Fauveau
Arrêtez-vous un instant sur le pont qui enjambe le Rhodon et laissez-vous bercer par le doux murmure du ruisseau.
Le mot du Parc : Les cours d’eau qui sillonnent le territoire étaient ponctués de moulins à eau. Moulins à « bled » (blés) ou moulin à tan pour broyer l’écorce de chêne utilisée dans la tannerie, ils étaient très nombreux jusqu’au milieu du XIXe siècle. Lorsqu’ils existent encore, ce sont souvent des maisons d’habitation. Vestige de leur fonction passée, le bief (canal de dérivation) subsiste fréquemment : il amenait l’eau à la roue. Autre indice : les étangs1 et les marais correspondent à d’anciennes retenues d’eau aménagées pour alimenter les moulins. Ainsi, l’étang des Vaux de Cernay et la roselière de Maincourt. A l’abbaye de Port-Royal existait également un moulin. La levée de terre qui barre le fond du vallon constitue la digue de l’ancien étang.
1 D’autres étangs, sur les plateaux, comme les étangs de Hollande, font partie du réseau des étangs et rigoles aménagé sous Louis XIV pour approvisionner en eau les bassins et fontaines du château de Versailles.
Au carrefour, prenez la route vers la droite « chemin de Jean Racine ».
Détour : Avant de poursuivre votre chemin, visitez le charmant village de St-Lambert. Son église entourée d’un cimetière dans lequel ont été transférées les dépouilles des religieuses après la destruction de l’Abbaye de Port-Royal. Son école, dans un manoir du XVIIIe, ancienne école janséniste. Son lavoir qui tourne aujourd’hui le dos à la rivière…
Le sous-sol
Un peu plus loin sur la droite, vous pourrez lire des informations sur la géologie locale. Les coteaux sablonneux sont très appréciés par les animaux pour y creuser leur terrier. Celui que vous voyez ici appartient probablement à un blaireau. Lors de mon dernier passage, j’ai aperçu quelques empreintes sur le chemin. Cherchez bien, vous en trouverez peut-être aussi mais ne vous approchez pas trop du trou, vous risquez de laisser votre odeur et de déranger les habitants du lieu.
Soyez très prudent en traversant la route et continuez le chemin en face.
Prairies humides et biodiversité
Ici, je pouvais m’abîmer dans la contemplation des troupeaux au pâturage.
Là l’on voit les grasses génisses,
Se promenant à pas comptés,
Par des cris cent fois répétés,
Témoigner leurs chastes délices ;
Là les brebis sur des buissons
Font pendre cent petits flocons
De leur neige luisante
Pour beaucoup d’entre nous, quoi de plus naturel qu’une prairie ? Pourtant ce n’est pas si simple même si on laisse faire la nature… mais je laisse la parole aux écologues !
Le mot du Parc : au coeur des vallées, les prairies humides contribuent à la diversité des paysages. Du fait de l’abandon de l’élevage, depuis un demi-siècle, la forêt tend peu à peu à les recouvrir. Afin de maintenir ces espaces ouverts et préserver la biodiversité qui leur est propre, le Parc propose divers modes de gestion. Au moulin de Fauveau, vous avez pu voir des « Blondes d’Aquitaine ». A St-Lambert, la prairie de la Gravelle gérée par le Parc est pâturée par des animaux rustiques : vaches écossaises (Highland Cattle), chevaux camarguais. Ailleurs, de petites parcelles font le bonheur des poneys. Ces espaces pâturés de manière extensive sont d’une grande richesse floristique. La Gravelle abrite des espèces végétales rares ou très rares comme la Parnassie des marais ou l’Orchis négligé, protégées en Ile-de-France. De nombreux insectes y trouvent également refuge. De l’autre côté de la route, de part et d’autre du Rhodon, les prairies humides abandonnées et regagnées par la forêt vont être réouvertes et à nouveaux pâturées.

La route que vous traversez se nommait autrefois « chemin de Dampierre à Versailles ». Elle traverse vallées et plateaux et fait le lien entre les deux châteaux.
Laissez le chemin qui mène au parking sur votre gauche et continuez tout droit.
Vous arrivez bientôt à l’angle du mur d’enceinte de l’abbaye. Continuez le chemin qui le longe.
Laissez la première porte sur votre gauche et prenez le chemin qui monte à droite pour rejoindre le musée des Granges et l’entrée du site.
Des pavés de grès
Le chemin est pavé ici. Vous n’imaginez pas le trafic intense à l’époque où l’abbaye rayonnait de toute sa splendeur. Afin de limiter la fatigue des chevaux qui tiraient les carrosses, on faisait descendre les passagers dans la montée et il fallut bien paver le chemin pour que les robes de ces dames ne traînent pas dans la boue !
PORT-ROYAL DES CHAMPS
Nous voici enfin arrivés dans cet endroit si cher à mon coeur. Je vous quitte pour aller me recueillir en ce lieu chargé de souvenirs. Une histoire passionnante vous attend au musée. Celle d’une opposition intellectuelle constante de savants, ecclésiastiques ou laïques au pouvoir royal au XVIIe siècle. Cette lutte prit fin avec la démolition de l’Abbaye ordonnée par Louis XIV, à la toute fin de son règne, en 1710. Pensez à moi lorsque vous pénétrerez dans les « Petites Ecoles ». Je dois à mes maîtres si peu ordinaires ce que je suis devenu…