Mis à jour le 18 juillet 2022
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Les Parcs et les relations Homme-Nature

En 50 ans d’existence, les Parcs naturels régionaux (PNR) n’ont cessé de se réinventer pour s’adapter aux nouvelles réalités du pays et aux aspirations de ses habitants. Leur agilité leur a permis d’innover sans cesse tout en restant gardiens d’une vision de la préservation de la nature qui se conjugue avec le développement local.

50 ans ! L’âge de la maturité. L’âge des possibles. Pour se réinventer et poursuivre. Voilà 50 ans que le Général de Gaulle, alors président de la République, apposa sa signature au décret du 1er mars 1967 qui créa les Parcs Naturels Régionaux. Ce n’est alors qu’un petit texte d’à peine 7 articles. Juste la première pierre d’un édifice. La Charte, ce document de référence qui définit le projet du territoire du Parc et ses priorités, y est déjà présente.
 
Le décret précise aussi déjà qu’un Parc est une initiative locale et que « le rôle de l’État se réduit à celui de garant et d’impulsion » indique le géographe Romain Lajarge. C’est un petit groupe de fonctionnaires chargés de l’aménagement du territoire qui a porté le projet pendant 6 années. « L’inventeur est sans conteste l’État, mais le concept n’aurait pas abouti sans une acceptation locale » nuance le géographe. C’est un temps où la société française est en profonde mutation, portée par des ambitions de modernité et de progrès. Les campagnes connaissent un bouleversement avec la mécanisation. Et dans le même temps, émerge une sensibilité écologique : une partie de la société dénonce déjà le bruit et la mauvaise qualité de l’air des villes. Dans ce contexte, « Il fallait inventer un modèle de territoire entre les Parcs nationaux qui venaient d’être créés, mais où la vie économique était figée et les habitants  rares, et la simple campagne » commente Phillippe Saint-Marc, l’un des acteurs de la création des PNR.
 
Ces fonctionnaires enthousiastes tâtonnent au début à définir ce que seront ces Parcs régionaux pas encore qualifiés de naturels. « Ce sont alors des outils d’aménagement destinés à répondre à des enjeux territoriaux très disparates » précise Romain Lajarge. Ils devaient tout à la fois contrebalancer le déséquilibre entre Paris et la province, revitaliser les zones rurales, préserver les milieux naturels et répondre aux aspirations de nature des urbains. Le premier Parc est celui de Scarpe-Escault dans les Hauts-de-France en 68, suivi du Parc d’Armorique en 69 puis de six autres encore l’année suivante. Les créations s’échelonneront ensuite régulièrement année après année sans rupture traduisant ainsi l’intérêt qu’ils ont toujours suscité.
De la revitalisation à la protection de la nature
 
Les missions de ces Parcs évoluent au fil des décennies s’affirmant au début plus tournées vers le développement économique à partir de leur patrimoine naturel, puis davantage orientées vers le développement local. À partir des années 2000, ils revendiquent une vocation plus naturaliste. Mais les Parcs ne sont pas figés et les nouveaux inspirent les précédents, même s’il n’y a pas de modèle unique. C’est un long processus empirique qui a ainsi présidé à la construction de ce vaste réseau qui échange sans cesse sur les expériences de chacun. « Les parcs ont été capables de se transformer constamment pour s’ajuster à ce qui se passait en dehors de leur territoire » commente Marjorie Jouen, spécialiste des politiques publiques et membre du Conseil d’orientation, recherche et prospective de la Fédération des PNR (CORP).
 
Les 51 Parcs qui couvrent 13 % de la superficie de la France vont ainsi affirmer des identités singulières enracinées dans leur territoire. Tous partagent une même aspiration : concilier l’humain et ses activités avec la nature. « Cette relation homme nature est au coeur de nos missions » rappelle Pierre Weick, directeur de la Fédération des PNR. Car les Parcs prennent naissance dans des territoires riches de patrimoines naturels et paysagers. Leur périmètre renferme des espaces protégés d’exception. « Les espaces naturels couvrent près de trois quarts du territoire des Parcs et ils concentrent la moitié des milieux classés en réserves naturelles », indique Pierre Weick, Le Vercors abrite ainsi 17 000 ha de réserve naturelle, soit 10 % de la superficie du Parc. Les espèces remarquables y sont nombreuses, mais cela ne doit pas cacher l’intérêt des Parcs pour une nature plus ordinaire certes, mais tout aussi essentielle au bon fonctionnement des écosystèmes.
 
Pour importante que soit la préservation de la nature, les Parcs doivent rester des lieux de vie. Pas question donc de faire de ces territoires des sanctuaires pour la nature. Homme et nature doivent sans cesse y négocier leur relation pour que chacun y trouve sa place. « Se joue là la relation des habitants avec leur patrimoine, rappelle Anne Pisot ancienne directrice du PNR de Chartreuse et coauteure d’un rapport sur les valeurs spécifiques des PNR. Cela relève des biens communs. C’est-à-dire des biens qui sont de la responsabilité de l’ensemble de la communauté d’un territoire et non des seules collectivités locales. »
Quel apport des Parcs ?
 
Si l’attrait qu’exercent les parcs est indéniable pour autant peut-on mesurer leur apport ? Bien sûr le législateur a prévu tous les 12 ans (tous les 15 ans aujourd’hui) une évaluation permettant de vérifier que la Charte est bien respectée. Mais comment répondre à la question : « Que ce serait-il passé sans les Parcs ? » Marjorie Jouen n’en doute pas « l’absence des parcs aurait accru les fractures et les inégalités territoriales et dégradé l’environnement. » L’apport le plus mesurable concerne la progression de l’artificialisation des sols. Elle y est globalement trois fois moins importante qu’ailleurs.
 
La vie, c’est le mouvement et les Parcs l’incarnent pleinement en étant des lieux d’expérimentation et d’innovation qu’il s’agisse de préservation des milieux, d’éducation, d’économie locale ou de social. « Dans les parcs, on peut tester et regarder comment les gens s’approprient les innovations.» souligne Marjorie Jouen. Le secret ? Peut-être le temps dont disposent ces territoires qui ne sont pas soumis aux échéances électorales régulières. Mais sans doute aussi une culture du dialogue.« On mesure avec du recul, le caractère très original dans le paysage français de la formule Parc : partir du collectif local et décider ensemble de l’avenir du patrimoine naturel et culturel du territoire » commente Bernard Chevassus au Louis, Président de l’association Humanité et biodiversité et membre du CORP.
 
Ainsi, le développement d’une agriculture plus respectueuse du milieu passe souvent par la réglementation. Mais les Parcs peuvent aller plus loin, car « tout se fait sans contrainte, précise Pierre Weick, nous préférons la voie de la contractualisation ». Ce qui se fait avec les mesures agroenvironnementales. L’agriculteur s’engage à respecter certaines pratiques qui limitent son impact sur l’environnement. En contre-partie, il peut bénéficier de quelques avantages. Mais ce n’est souvent pas la raison de son engagement : elle se trouve dans la passion qui l’anime et le sentiment de grande responsabilité qu’il a envers la nature, les autres humains et les générations futures. C’est grâce à ces mesures que les agriculteurs du Parc de l’Avesnois ont permis de conserver le paysage bocager typique de la région et la biodiversité qui l’accompagne. Seuls les Parcs permettent de rassembler un tel consensus. « C’est la spécificité des Parcs sur toutes les autres structures administratives que de proposer un projet de territoire fédérateur » renchérit Marjorie Jouen. C’est aussi l’une des rares structures qui se distingue par les missions qu’il poursuit au service du territoire et par l’absence de compétences propres associées à des ressources fiscales.
Un attrait toujours fort
 
Aujourd’hui, le succès des Parcs ne se dément pas. D’autres projets sont en gestation. Les PNR de la Sainte Baume, de l’Aubrac, du Médoc et de la Baie de Somme rejoindront la liste en 2018. C’est dire l’intérêt qu’ils continuent de susciter. « Pour autant nous ne sommes pas dans une stratégie d’extension du nombre de parcs, précise Pierre Weick, il ne faut pas les banaliser et nous devons toujours conserver des chartes ambitieuses ».
 
En dépit de cet attrait, les Parcs sont aujourd’hui à un moment charnière de leur existence et doivent se réinventer. À court terme, c’est leur financement actuel qui est questionné même si leur budget est en moyenne de 3 millions d’euros. Les communes et l’État n’y participent que modestement. Ce sont surtout les Régions qui apportent l’essentiel des financements. Et dans un contexte budgétaire contraint, elles pourraient revoir leur participation. « Il faut que les Régions respectent leurs engagements, insiste Pierre Weick. La Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie ont ainsi pris des orientations ambitieuses pour les Parcs. Ces derniers de leur côté doivent préciser leur mission en ouvrant de nouveaux champs dans le respect de la charte ».
 
Dans le même temps, la réforme territoriale oblige les communes à se regrouper pour former des ensembles intercommunaux d’au moins 5000 ou 15 000 habitants selon la densité du territoire. Et elle donne à ces intercommunalités des compétences obligatoires comme la gestion des déchets, le tourisme, l’accueil des gens du voyage, l’eau, l’assainissement. Elles ont par ailleurs depuis 3 ans une compétence obligatoire sur la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI). Dans ce contexte institutionnel changeant, chacun doit trouver sa place et sa complémentarité. « Les intercommunalités n’ont pas d’identité géographique comme les parcs et ne sauraient donc se substituer à eux » explique Martin Vanier, géographe. « Le dialogue doit se faire avec les régions et les intercommunalités pour repositionner les objectifs des parcs ».
 
Il faut imaginer de nouvelles relations. « L’intercommunalité peut déléguer des compétences aux parcs selon des accords financiers qui doivent être définis » propose le géographe. Les PNR du Haut Jura et des Grandes Causses et du Morvan sont ainsi impliqués dans la gestion des cours d’eau qui les traversent et jouent le rôle de syndicat de rivières.
 
Anne Pisot est, elle, confiante en l’avenir de ces institutions quinquagénaires que sont les Parcs. Pour la consultante, ces changements institutionnels qui pourraient bousculer la place des Parcs ne sont pas nouveaux et n’ont jamais remis en question le statut de ces territoires. Mieux « c’est la force des Parcs de se requestionner et de devoir toujours se réinventer. Ils s’adaptent toujours aux systèmes avec lesquels ils fonctionnent ».
 
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