Mis à jour le 12 octobre 2022
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Diodurum

Sous les pavés cisterciens, la "Ville des Dieux"

Partie émergée des constructions qui se sont empilées depuis l’époque galloromaine, elle est devenue une machine à remonter le temps, grâce à l’énergie d’une poignée de passionnés, archéologues, amateurs ou élus du voisinage !

Elle se voit de loin. De couleur claire, la ferme d’Ithe se repère depuis les villages promontoires des collines alentours : Bazoches-sur-Guyonne, Jouars-Pontchartrain, le Tremblay-sur-Mauldre, Méré, Monfort-l’Amaury, Neauphle-le-Château... Elle est posée là, au coeur de la vallée de La Mauldre, au point bas de la vaste plaine céréalière de Jouars, d’où le regard porte à plus de dix kilomètres.
 
Le lieu dit de la ferme d’Ithe au Tremblay sur Mauldre, attaché au grand parc du château de Jouars que nous découvrons en compagnie d’Olivier Blin, archéologue à l’Inrap, directeur scientifique du site et d’Anne Jouve, professeur d’histoire et vice présidente de l’Association APSADiodurum, résulte d’une sédimentation - des pierres comme des époques - de plus de vingt siècles. Nos guides nous font remarquer les variations subtiles entre les différentes strates des murs pour partie effondrés : une certaine meulière claire et très unie ne peut dater par exemple que de l’époque antique, telle autre signale une construction médiévale. Ainsi prend-on conscience progressivement d’un empilement ininterrompu d’époques romaine, mérovingienne, de temps cisterciens, classiques et même du XIXe et du XXe siècle.
Un long travail de reconnaissance archéologique
 
L’aventure archéologique moderne a commencé dans les années 70 après un début de vingtième siècle désastreux : la monumentale grange cistercienne qui dépend de l’Abbaye des Vaux de Cernay de façon avérée depuis 1162, a brûlé en 1940, et a servi plusieurs fois de décor de cinéma. Il ne reste plus que quelques murs de meulière partiellement écroulés ou rougis par les flammes, et le tout est enfoui sous la végétation. En 1975, des photos aériennes réalisées par un amateur éclairé (François Zuber) révèlent la présence d’une ville gallo-romaine, Diodurum qui a précédé la grange : pas moins de 40 hectares au plus bas de la plaine, une taille presque équivalente à Lutèce, la cité des Parisis, en partie sous l’emprise de la route nationale désormais.
 
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Diodurum, Ferme d'Ithe

 La cité Carnute gallo-romaine n’est certes pas une métropole régionale communément appelée « Civitas » mais plutôt un « Vicus », c’est-à-dire une ville secondaire dont on retrouve les figures de « Vicani » sculptées dans la pierre. On sait qu’elle a été active pendant plusieurs siècles. Les archéologues, Olivier Blin en tête, qui l’ont fouillée sur 4 hectares entre 1994 et 1999 avant les travaux d’aménagement de la déviation de la RN12 à Jouars-Pontchartrain, attestent d’une occupation continue du Ier siècle avant J-C au Ve siècle, voire même au VIe siècle de notre ère. Diodurum semble avoir été une ville étape à quinze lieues de Lutèce, moins d’une journée de cheval. Elle est installée au carrefour de deux voies romaines stratégiques, Paris-Dreux (d’est en ouest) et Chartres-Les Mureaux (du sud au nord) aux confins du territoire Carnute. Pontchartrain tire d’ailleurs son étymologie de l’idée de pont entre le pays des Carnutes et celui des Parisis.

 
Cité commerçante, artisanale, elle possède des entrepôts, plusieurs lieux de culte dédiés à des divinités gauloises et romaines, une nécropole, probablement des thermes et même un théâtre. Les fouilles réalisées laissent deviner des vastes maisons, dotées de cours intérieures avec péristyle. Aucune hésitation non plus sur le nom : Diodurum est mentionné au IIIe siècle dans l’un des itinéraires d’Antonin, un guide routier antique.
 
L’ensemble des découvertes – objets usuels de cuisine tels que vases, pots, gobelets, assiettes, écuelles, cruches en céramique, ou objets raffinés tels que petites cuillères, fibules de bronze, épingles à cheveux en os, perles en pâte de verre, monnaie – font accéder le site de Diodurum au rang de site d’intérêt national. En tout, les fouilles archéologiques concourent à remplir un millier de caisses de mobiliers, soit 18 000 objets muséographiques en partie restaurés datant de l’époque gallo-romaine ou de l’antiquité tardive.
 
Par quel mystère ces traces nous sont-elles encore accessibles ? Les caprices de la Mauldre, dont le cours et la largeur (jusqu’à 8 mètres) ont beaucoup varié, y sont pour beaucoup. L’état de conservation exceptionnel de la ville romaine qui reste enfouie sous les pieds du visiteur, est à porter au compte des inondations qui ont recouvert la ville antique de plus de deux mètres de sédiments humides. Ce ne sont donc pas les invasions barbares de l’Antiquité tardive - dont le caractère brutal est de moins en moins avéré en dépit d’une mythologie qui a la vie longue - qui ont eu raison de Diodurum mais bien davantage la peur des inondations à répétition. Des petits bourgs médiévaux ont vu le jour sur les contreforts de la plaine, la cité probablement trop humide de Diodurum est délaissée, ce dont se réjouissent les archéologues du XXIe.
Une association dynamique qui fait parler les pierres
 
A l’issue de cette première campagne de fouilles liée aux travaux de la RN 12, une Association pour la Protection du Site Archéologique de Diodurum est créée grâce à l’impulsion de Marie-Laure Roquelle, sa présidente et maire de Jouars-Pontchartrain. Neuf communes rejoignent l’APSAD constituée d’archéologues, d’associations de défense du patrimoine, de sociétés historiques, d’étudiants et de bénévoles. La commune de Jouars a racheté deux petits bâtiments qui servent de base au travail archéologique. Tous les samedis d’avril à octobre, et l’été durant un mois, les bénévoles se retrouvent sur le terrain.
 
Chaque année, un programme très renouvelé de recherche et d’animations est proposé : sondages archéologiques sur le site proprement dit de la ferme, inventaires du végétal (dont un grand saule de 6 m de circonférence, probablement vieux de plusieurs siècles), restauration de 2005 à 2011 de la chapelle-oratoire du XVIIe construite en lieu et place de la chapelle cistercienne détruite en 1640, grâce à des chantiers internationaux de l’association REMPART, et bien entendu, cuisine médiévale et antique, céramique protohistorique et autres reconstitutions historiques des techniques de combat au Moyen Age lors des journées du Patrimoine…
 
Le but de cette mobilisation : faire la démonstration que l’association est capable, en dépit de faibles moyens financiers, d’aider à l’interprétation historique des lieux, à leur sauvegarde et même à leur restauration.
 
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Diodurum, Ferme d'Ithe
Un joyau sous la plaine
 
L’APSAD a désormais l’idée de pouvoir réaliser un musée à ciel ouvert sur la ferme d’Ithe : à la fois un Centre de Conservation et d’Etude pour accueillir in situ le mobilier archéologique, un Centre d’Interprétation patrimonial pédagogique et même une « crypte » archéologique, espace scientifique pour une lecture permanente des vestiges.
 
En rejoignant le Parc naturel régional, les communes environnantes espèrent également inscrire la mise en valeur du site de la ferme d’Ithe dans un cadre intercommunal, dans le droit fil des efforts déployés par Marie-Laure Roquelle jusqu’à présent. La plaine de Jouars relève du Grand paysage (travaillé en son temps par Le Nôtre, jardinier du Roi, à Jouars-Pontchartrain) avec ses perspectives cultivées aux couleurs chatoyantes, ses vues lointaines, ses petits villages perchés, ses collines boisées. Au creux de la vallée, le joyau de Diodurum ne demande qu’à émerger. 
 
Article d'Anne Le Lagadec pour l'Echo du Parc n°55 (mai 2012)
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